http://www.lecourant.info/spip.php?article733 (Publié le 11 février 08)
Sri Lanka : 30 ans de conflit sans solution
Tour à tour sous le contrôle des Portugais puis des Hollandais, Sri Lanka devient colonie de l’empire britannique des Indes en 1796. Le 4 février 1948, le pays obtient le statut de dominion au sein du Commonwealth, statut qu’il conservera jusqu’au 22 mai 1972, date où il devient la République démocratique socialiste de Sri Lanka.
De son histoire post-indépendance à aujourd’hui le Sri Lanka est marqué par un conflit opposant le gouvernement singhalais au groupe séparatiste tamoul des LTTE (Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul).
On note souvent le début du conflit dans les années 80. Mais, un regard plus attentif sur l’histoire du pays fait porter une part des responsabilités aux anciens colons et notamment au processus de décolonisation de la couronne britannique. Comment le Sri Lanka de son indépendance à aujourd’hui s’est elle enlisée dans une situation plus que difficilement solvable ?
Retour sur un conflit qui oppose depuis plus de 30 ans le gouvernement singhalais au groupe séparatistes des LTTE (Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul).
Les origines du conflit…
Les premières réactions nationalistes singhalaises remonte aux années 30 et sont déjà marquées par une forte animosité envers les tamouls. Animosité qui trouve son origine notamment dans un certain déséquilibre dans la représentation du peuple tamoul par rapport aux singhalais dans l’administration anglaise. L’influence missionnaire anglicane souleva de nombreuses rancunes au sein de la communauté singhalaise bouddhiste en favorisant la rupture des liens entre cette religion et l’Etat alors qu’elle fut accueillie avec beaucoup moins d’hostilités par les tamouls. Ce n’est alors pas une surprise de voir qu’à l’époque les écoles tamoules furent mieux gérées, que la communauté maîtrisa plus rapidement la langue colonisatrice, devenue langue administrative et accédèrent alors à la plupart des hauts postes de l’administration.
Londres décida en 1931 de laisser une autonomie interne à l’île de Ceylan mais c’est la commission Soulbury qui par sa constitution de 1947 énonça les modalités de décolonisation et marqua les bases du conflit en ne prenant pas en compte une possibilité d’écrasement de la minorité tamoule par une majorité singhalaise laissée pour compte pendant près d’un siècle. Le droit anglais, instaurant le système de vote une personne/une voix, favorisa le concept d’un gouvernement de majorité singhalaise. Effectivement le premier parlement de Colombo compta 58 singhalais pour 29 tamouls et 8 musulmans. Dès lors, la politique, l’administration, l’armée, l’économie furent dominées par la présence singhalaise. La crainte de voir s’instaurer une « dictature par la majorité » vit jour dans la communauté tamoule.
En 1956, le SLFP (Sri Lanka Freedom Party – Parti Sri Lankais de la Liberté) arrive au pouvoir avec l’appui de nombreux dirigeants bouddhistes et une campagne électorale axée sur la primauté de la culture et de la langue singhalaise ainsi que de la religion bouddhique. Le gouvernement adopte très rapidement une loi - la Official Language Act – déclarant le singhalais comme seule langue officielle et destinée à faciliter l’accès à la fonction publique et à l’université aux singhalais…au détriment des tamouls qui se retrouvent alors exclus de la vie politique.
A partir de l’arrivée du SLFP, de sa décision d’une langue officielle unique et de son projet d’une religion d’état officielle, n’étant autre que le bouddhisme, une volonté de s’affranchir d’un Etat mettant à mal leur identité et d’affirmer leur autonomie apparaît dans la communauté tamoule. Volonté renforcée par la décision de nationaliser les écoles tamoules en 1961 et obligeant donc les Tamouls à apprendre et faire leurs études en singhalais et non dans leur langue.
On voit alors dès la fin des années 60 et le début des années 70, l’émergence d’un militantisme tamoul en réponse à une oppression menée par « une dictature de la majorité ».
Le schéma répétitif d’un conflit sans fin…
C’est dans les années 70 que l’on voit se profiler un possible conflit ethnique dans le champs politique sri lankais.
Le 22 mai 1972, le pays quitte le Commonwealth et devient la République Démocratique Socialiste de Sri Lanka. Quatre ans plus tard on voit l’idée d’une nation indépendante – l’Eelam Tamoul- être proposée par le TULF, Front Uni de Libération des Tamouls, principal parti politique de la communauté tamoule. En 1977, le parti se présente aux élections législative en revendiquant la création de cet état indépendant et remporte la plus part des sièges de la zone tamoule. Le TULF est cependant écarté du Parlement par le gouvernement en raison de leur position séparatiste. 1977 est aussi marquée par des émeutes dans le Nord à Jaffna et à l’Est de l’île. 1978, Mr Jayawardene, membre de l’UNP (United Nation Party) et premier président en charge de l’exécutif, fait renforcer la lutte contre ceux qui soutiennent le séparatisme tamoul.
En 1981, la frontière vers un conflit se creuse par une série d’incendies de bâtiments importants à Jaffna : les bureaux des députés des circonscriptions locales, la bibliothèque publique de Jaffna… C’est la disparition de la bibliothèque et les rumeurs de présence de policiers parmi les incendiaires qui entraîne le Sri Lanka et sa politique tourmentée vers une guerre civile.
De 1981 à 1983, une série d’attentats a lieu et c’est suite à l’assassinat de policiers à Jaffna que l’année 1983 est marquée par le « Black July », mois où ont lieu des pogroms anti-tamouls très violents dans l’ensemble des grandes villes singhalaises.
1987 voit naître un espoir de retour à la paix par un accord signé avec l’Inde prévoyant une fin au conflit et la ré-officialisation de la langue tamoule. Cet accord prévoyait des concessions aux revendications tamoules…
L’Indian Peace-Keeping Force tenta de rétablir l’ordre sur le Nord et l’Est du territoire. Lorsque les LTTE refusèrent de déposer leurs armes, la force d’intervention indienne tenta de les contraindre provoquant ainsi un conflit avec les tamouls. L’année suivante ce fut le tour des singhalais de protester contre la présence indienne.
A partir de 1990, année où la première trêve est rompue, le Sri Lanka suit un même schéma répétitif marqué d’assassinats contre des personnes politiques publiques (allant jusqu’au Président Premadasa en mai 1993), de destructions de structures (explosion en partie de l’aéroport de Colombo en 2001) et d’une tentative de paix échouée au début de l’année 1995 après un record de 14 semaines de paix !
En 2002, la présidente Chandrika Kumaratunga, élue en 1994, arrive à un accord de cessez-le-feu avec les LTTE sous l’égide de la Norvège. Au lendemain de la guerre, le Sri Lanka est marqué par une catastrophe naturelle, le tsunami du 26 décembre 2004. Le pays se relève tant bien que mal jusqu’aux élections présidentielles de novembre 2005 et l’arrivée au pouvoir de Mr Rajapakse.
Après deux ans d’une paix hypocrite, retour à la case départ…
Le 25 novembre 2005, le nouveau président Mr Rajapakse annonce dans son discours inaugural son intention de revoir les termes du cessez-le-feu de 2002 afin de mettre fin à toutes actions terroristes….et c’est l’escalade de la violence.
Après le report des pourparlers d’avril 2006, une nouvelle table ronde est tenue en octobre à Genève entre les deux parties. Eric Solheim, médiateur norvégien, indiquait à l’époque qu’aucun accord sur les questions humanitaires ou sur une prochaine date de rendez-vous n’avait été pris mais que le gouvernement et les tigres avaient promis de ne pas lancer d’offensives.
De ces pourparlers à janvier 2008, les attaques contre les tigres s’amplifient, les attentats contre le gouvernement aussi. La fin de l’année 2007 est marquée par la première attaque aéroterrestre des Tigres contre une base gouvernementale, la base militaire d’Anuradhapura.
Le 2 janvier, après que les accords de cessez-le-feu aient été bafoués pendant plus de deux ans, le gouvernement annonce se retirer officiellement du processus de paix. Le traité est rompu le 16 janvier et les observateurs de la paix Norvégiens et Islandais sont priés de quitter le territoire à la même date.
Dès lors, les deux parties peuvent se livrer officiellement et en toute impunité à une guerre sanglante où aucune solution politique ne semble se dégager.
Alors que la violence redouble et que l’anarchie des attaques semble être la réalité de Sri Lanka aujourd’hui, l’APCR (le comité représentatif de tous les partis) vient de remettre au Président Rajapakse un premier rapport de solutions politiques. L’APCR est une création du président en milieu d’année 2006 afin de trouver une alternative politique de résolution au conflit.
Le premier problème de cette commission, censée représenter tous les partis, et qu’elle ne les compte pas tous ! Par exemple la TNA (Alliance Nationale Tamoule) n’y est pas présente. Cette commission non représentative s’appuie sur deux questions : celle de la langue tamoule et donc du 13e amendement de la constitution et celle des élections dans le Nord et l’Est du pays. En quelques sortes, la commission revisite et propose d’appliquer les dispositions qui auraient dû être prises il y a plus de 20 ans à la suite de la rédaction de cet amendement. En ce qui concerne la mise en place d’un conseil intérimaire à la place d’élections impossible à tenir dans le Nord et l’Est de l’île, il s’agit d’une idée en pratique quasi irréalisable. Le gouvernement peut, au mieux, montrer qu’il continue à chercher une solution politique alors qu’une guerre à outrance se déroule sur son territoire.
Mettre en place un conseil intérimaire se relève une mission impossible dans le nord du territoire, tout simplement car il est peu probable qu’un tamoul accepte d’y siéger. Effectivement quelle personne accepterai de se retrouver en ligne de mire des pro-LTTE dans une zone où le conflit fait rage très violemment depuis des années ? Dans l’Est du pays, le problème des élections est autre en particulier car la configuration de la population est différente. Alors que le Nord est à très forte majorité tamoule, l’Est est partagé entre musulmans et tamouls, les musulmans étant opposés au conflit.
Comme l’explique Mr Eric Meyer, historien spécialiste de Sri Lanka, professeur à l’Institut National de Langues et Civilisations Orientales :
« Si les tamouls de la côte Est arrivent à faire entendre leurs voix au coté des musulmans et au coté des singhalais, ils peuvent constituer effectivement une administration provinciale. Et, cette administration provinciale peut prendre en main le re-développement de l’Est ».
Une solution politique pourrait alors être mise en place dans l’Est du pays, plaçant alors le Nord comme unique foyer d’une guerre de longue durée. Du côté singhalais, on espère une victoire totale et rapide et le chef de l’armée Sarath Fonseka annonce que « la « fin » des LTTE est certaine pour juin 2008 ».
Sur le territoire, le sentiment de peur est mêlé à l’euphorie d’une victoire militaire possible. Les écoles sont fermées à Colombo, les médias sont contrôlés et le public est de plus en plus visé. Le 4 février, jour de l’indépendance, l’attentat de la gare de Colombo a coûté la vie à plusieurs dizaines de personne. Le week-end précédant, c’est la gare routière de Dambullah qui avait été visé et une grenade avait été jetée dans le zoo de la capitale. Bien que la panique se fasse sentir et que la situation n’est clairement pas contrôlée, on croit toujours à une grande victoire militaire possible, suivie ou non d’une solution politique...
Ce qui est surtout à craindre aujourd’hui est la réaction des civils : les crimes commis par les deux parties, le non respect des droits de l’Homme, la répression politique risquant de faire re-naître les fortes animosités entre les deux ethnies.
Nombre sont ceux qui ont déserté l’armée en emportant leurs armes et qui pourraient créer des noyaux de crises indépendants des raisons de la guerre. Dans un climat d’anarchie, la possibilité de braquages ou de prises de pouvoir locales pour quelconques raisons pourrait entraîner le départ de tirs pour un motif inconnu dans un endroit imprévu. Tirs qui pourraient être de grandes ampleurs si le gouvernement procède comme à la fin des années 80 en armant les civils.
Comme le signale Mr Meyer, « Les choses sont devenues très graves à la fin des années 80, début des années 90 dans des moments où le gouvernement a créé ce que l’on appelle les « home guards » [la garde civile] et qu’ils ont donc distribué des armes (…) les gens se sont servis de leurs armes sans en référer aux autorités. » Et aujourd’hui, nombres d’éléments pensent à montrer qu’une telle situation peut se reproduire rapidement.
Des conséquences dramatiques sur l’économie et la question humaine à Sri Lanka
L’espoir né avec le cessez-le-feu de 2002, de voir l’économie se relever s’est transformé avec la reprise des violences en 2005, leurs amplifications en 2007 et surtout la rupture de la trêve en janvier 2008, en vision de désastre économique total.
Comme le signale The financial Times Limited, une forte économie intérieure s’est développée au cours des dernières années grâce à l’augmentation des exportations textiles, du thé, du caoutchouc…montrant une économie souple et robuste. Mais l’inflation de 16% en 2007, a entraîné une hausse des prix de la consommation de 10 à 11%. Le prix du pétrole a creusé un déficit budgétaire 30% et les dépenses liées à l’armement risque de brûler le budget de l’Etat. Le gouvernement devra alors faire monter les prix des biens consommables pour palier à cette situation et aggravera la situation de la population dont le pouvoir d’achat s’amenuise déjà de jour en jour. L’économie Sri Lankaise risque de se trouvée tuée par la guerre.
Selon le rapport de Walter Kalin, représentant du secrétaire général de l’ONU, présent sur le territoire en décembre 2007, plus de 220 000 personnes auraient fuit les conflits entre avril 2006 et mars 2007. Walter Kalin n’a pu se rendre dans les zones nord et met en cause le gouvernement concernant son impossibilité de se rendre à Kilinochchi, bastion des LTTE, pour parler des problèmes de protection et humanitaires liés au conflit. Kalin observe qu’ « il existe une tension entre la sécurité impérative et l’humanitaire impératif, et que la clef se trouve dans la balance optimale permettant à la population de vivre à la fois dignement et en sécurité ». Alors que près de 600 000 habitants de Jaffna se trouvent coupés du monde depuis la décision en août 2006 de fermer la nationale A9 qui les relient au reste de l’île et que les prix y ont connu une augmentation de 300%.
Devant l’absence des observateurs de la paix et l’interdiction aux journalistes de se rendre en zone tamoule, les attentats se multiplient et se font au grand jour d’une communauté internationale incapable de trouver une solution. Le Japon, l’un des principaux bailleurs de fonds de Sri Lanka, pourrait prendre la relève de la Norvège. C’est ce que semble montrer la visite en janvier de Yasushi Akashi, représentant du gouvernement japonais, pour « discuter avec le gouvernement de la situation actuelle du processus de paix et de son futur ».
Mais, quelle solution pourrait proposer ce pays, là où beaucoup ont échoué ? Politiquement aucune solution n’est actuellement possible, le gouvernement et les tigres s’étant avancés au point où aucun retour sur leurs positions ne semble envisageable.
Les principaux opposants au gouvernement sont contraints au silence. Samedi 9 février a été marqué par la mort accidentelle de l’ancien ministre Mr Sooriyarachchi connu comme étant l’un des deux plus virulents critiques du président au côté de Mr Samaraweera également ancien ministre.
Les médias sont ceinturés et les ONG, dont les déplacements sont réduits, travaillent dans des conditions de sécurité plus que limitées. Le travail de la presse est réduit quasi à néant, la WAN (association mondiale des journaux, basée à Paris et représentant environ 18 000 journaux) classe le pays comme le troisième plus dangereux pour les métiers de la presse en 2007.
Les informations sont de plus en plus douteuses allant de rumeurs d’assassinat du chef des LTTE, Prabakharan, à l’attaque de bâtiments de l’ONU à Kilinochchi en passant par les « prises » des villes aux mains des Tigres par le gouvernement et par les annonces d’attentats plus ou moins crédibles, augmentant ainsi l’incompréhension et la confusion dans les esprits.
Dans un conflit remontant à plus de 30 ans, causant la mort de plus 70 000 personnes et la quasi-ruine de l’économie sri lankaise, quelle est la possibilité de voir un retour à la paix possible, si ce n’est par l’écrasement d’un des deux partis par son opposant. Si le gouvernement arrivait à mettre la main – d’une façon plus ou moins violente – sur les dirigeants tamouls, l’organisation pyramidale des tigres serait alors anéantie, réduisant ainsi la possibilité d’attaques stratégiques et coordonnées par des LTTE qui se retrouveraient sans leader. Mais une solution militaire n’est actuellement que peu probable en raison du déploiement des deux troupes, de leur armement respectif et de leur volonté féroce d’anéantir l’opposant.